[PP-discussions] Quelques mécanismes qui nuisent à la discussion

Olivier Soares olivier at artfutur.com
Ven 6 Sep 02:31:57 CEST 2013


Bonsoir Cortex,
Ce que tu dis est très intéressant, il y a beaucoup de choses très
justes je crois notamment sur empathie et compassion (bien que j'aime
pas trop ce terme) néanmoins, je pense qu'il ne faut pas perdre de vue
l'aspect politique de la communication entre nous qui complique pas mal
les choses.

La politique ne consiste pas à éviter les conflits ni à renvoyer en
toutes circonstances les uns et les autres dos à dos sans prendre parti.
En politique, neutraliser les conflits, c'est assez souvent prendre le
parti du plus fort, et interdire à la souris de revendiquer ses droits
contre l'éléphant, pour reprendre l'image connue de Desmond Tutu.

Aussi je pense qu'il faudrait distinguer les conflits de personnes qui
sont en effet du ressort de tes outils d'analyse, et les conflits
politiques qui sont de l'ordre du débat d'idées, des prises de position
et de l'engagement.  Ton analyse de ce qui s'est passé autour de la
transphobie, par exemple, n'est pas juste à mon avis, dans la mesure où
la question n'est pas le fait que Chelsea Manning ait eu connaissance de
qu'on écrivait ici, mais de la façon dont les trans qui nous suivent,
que nous connaissons, qui sont nos ami-e-s et qui pour certain-e-s sont
peut-être même des pirates peuvent ressentir notre façon d'aborder un
sujet qui les touche.

C'est en ça qu'il y avait en effet implication émotionnelle de plusieurs
d'entre-nous à différents niveaux. C'est important de ne pas le perdre
de vue, si on veut pouvoir comprendre ce qui s'est passé avec justesse
et le pourquoi de cet emballement. Il faut comprendre aussi que dans ces
cas, les tentatives d'apaisement peuvent être assez vite perçues comme
des formes d'excuse. Lorsque des propos doivent être condamnés, il faut
les condamner et s'en tenir là.

En revanche, sur d'autres conflits plus personnels, tes outils seraient
certainement mieux adaptés, et je pense qu'ils nous auraient été très
utiles  dans bien des cas.

Amicalement
Olivier




On 06/09/2013 00:53, Cortex wrote:
> Bonsoir,
>
> Je souhaiterais partager avec vous une petite réflexion sur les
> discussions/débats au PP (et donc par mlist ou forum) et plus
> précisément je voudrais mettre en lumière quelques mécanismes qui leur
> nuisent fortement.
>
> 1. Le fond / la forme
> Tout d'abord, j'aimerais parler de cette fâcheuse tendance que nous
> avons à mélanger le fond et la forme. Ils sont nécessairement liés et
> complémentaires pour bien comprendre le message mais il est important de
> bien les distinguer pour ne pas réagir excessivement et pour ne pas
> répondre "à côté". En simplifiant un peu, on peut dire que le fond,
> c'est ce que veut dire l'émetteur - sa thèse - et qu'il est souvent
> facile à identifier (si l'on ne réagit pas à la forme. La forme contient
> elle aussi des informations, mais plus subtiles/diffuses. On y retrouve
> souvent le degré de charge émotionnelle (énervement, tristesse,
> joie...), ou bien une attitude (provocante (qui peut aussi masquer une
> forte charge émotionnelle (volonté de provoquer un conflit car
> souffrance en amont) ou l'envie simplement de provoquer une réaction),
> bienveillante...).
> Si l'on ne sépare pas clairement le fond et la forme, c'est-à-dire, si
> l'on ne cherche pas ce qu'à voulu dire l'auteur, sans tenir compte de la
> charge émotionnelle, des sous-entendus, de la provocation, etc. on prend
> le risque de rentrer dans un cercle (vicieux) de violence.
>
> 2. Se sentir agressé
> Une des premières causes de ces cercles est le fait de se sentir agressé
> par un propos. Séparer le fond et la forme permet de réduire ce
> sentiment d'agression, mais on peut aller plus loin. Il n'y a aucun lien
> de causalité systématique entre "être agressé" et "se sentir agressé"
> (on peut se faire insulter et ne pas s'en soucier et, un malentendu peut
> déboucher sur un sentiment d'agression (sans agression)).
>
> 2.1 L'insulte
> Après un "maître il m'a traité", mon père, instit', demande souvent à
> ses élèves "quand Alice insulte Bob, qu'est-ce que ça nous apprend sur
> Bob ?". Rien bien sûr. Ca nous apprend que Alice souffre d'une situation
> et qu'elle l'extériorise sous forme de violence contre Bob (qui peut
> très bien n'être pour rien à sa souffrance (ex : se faire insulter par
> une personne "de mauvais poil")). Si tout le monde est d'accord que l'on
> a rien appris sur Bob, celui-ci n'a pas vraiment de raison de souffrir
> de la situation. Il peut au contraire déployer toute sa compassion vers
> Alice qui semble souffrir.
>
> 2.2 La critique (négative)
> Autre agression classique dans ces contrées : la critique. On en
> distingue deux formes : objective ("tu n'as pas fait ça") ou subjective
> ("tu as fait du sale boulot"). Contre-intuitivement (pour moi en tout
> cas), le premier cas, moins fréquent que le second, est plus difficile à
> gérer : il pose problème quand la critique est vraie. Si elle est fausse
> (non conforme à la réalité), on peut en débattre, trouver des preuves,
> etc. Mais si elle est vraie, la personne associée à la critique peut
> souffrir à cause de tristes mécanismes que nous avons en nous
> (culpabilité, sensibilité aux reproches/critiques...). Un bon début est
> de prendre conscience de ce qui se passe en nous au moment de ce malaise.
> La critique subjective ou jugement, est assez proche de l'insulte (sans
> être forcément aussi négative) du point de vue du mécanisme : elle ne
> nous apprend rien sur la personne critiquée (Alice, pour changer), si ce
> n'est qu'elle n'est pas "à la hauteur" des espérances/exigences de la
> personne la critiquant (Bob). La question à se poser est : est-ce que
> l'avis de Bob a de l'importance, pour Alice, pour d'autres personnes ?
> Si oui, est-ce que ce jugement est fondé ? Une arme redoutable contre
> les jugements consiste à les reformuler en enlevant toute agressivité et
> en se rapprochant du factuel/objectif (ex : "être incompétent" -> "ne
> pas avoir toutes les compétences requises pour un poste/une fonction").
> Cela permet de remonter petit à petit jusqu'au noeud initial et de
> désamorcer le conflit.
> A noter que certains jugements se présentent sous les atours d'une
> critique objective.
>
> 3. Réaction
> La conséquence direct du sentiment d'agression consiste à être dans la
> réaction. On se transforme alors en automate qui n'est plus contrôlé par
> la raison : les entrées (inputs) agressives sont immédiatement
> transformés en sorties (outputs) violentes. La réaction automatique est
> le carburant du cercle vicieux de la violence. Pour éviter les conflits,
> cette état de réaction est à reconnaître (chez l'autre et en soi) et à
> éviter à tous prix. Pour cela on peut travailler à éviter de se sentir
> agressé (voir plus haut) et travailler également sa compassion ou au
> moins son empathie, pour l'autre.
>
> 4. La compassion et l'empathie
> La compassion ("souffrir avec") consiste à ressentir de la souffrance
> lorsque un être apprécié/aimé/cher/dont on se sent proche souffre. Elle
> est du domaine du ressenti, de l'émotionnel. L'empathie est, quant à
> elle, consiste à comprendre la souffrance de l'autre. C'est une démarche
> purement intellectuelle (aucune émotion). En pratique, les deux sont
> souvent mêlées mais cela n'a rien de systématique. Certaines personnes
> ne ressentent pas de compassion (souvent des gens très rationnels, dont
> les émotions sont enfouis en profondeur (j'ai été comme ça, je
> connais)), d'autres sont saturées par leur compassion (et en général par
> toutes leurs émotions) ce qui ne laisse pas de place à la compréhension.
> De ces deux mécanismes, il n'y en a pas un de "mieux" que l'autre.
> Chacun correspond à une partie de nous (rationnelle ou émotionnelle) et
> est utile dans des circonstances différentes. Ils sont tous les deux
> très important pour avoir des relations (un minimum humaines) avec
> d'autres personnes. En particulier ces deux mécanismes peuvent être
> utilisées dans le désamorçage de conflits. Soit par une personne
> extérieur (sa compassion peut le pousser à aider, avec douceur, les
> personnes impliquées à trouver une solution acceptable pour tous), soit
> par les belligérants eux-mêmes qui, s'ils ont un minimum de
> connaissances des comportements humaines, peuvent comprendre que la
> violence de l'autre découle d'une souffrance et cette compréhension peut
> réveiller en eux de l'empathie ou mieux encore (dans ce cas). Plus tard,
> lorsque cette compréhension est intériorisé, c'est même de la compassion
> qui sortira plutôt qu'un sentiment d'agression.
>
> 5. Les limites de la compassion et de l'empathie
> La compassion et l'empathie ont cependant un penchant dangereux : elles
> peuvent aider à désamorcer un conflit mais elles peuvent tout autant en
> être à l'origine ou l'alimenter. Par compassion/empathie pour une des
> parties d'un conflit, une personne peut en venir à rejoindre un "camp"
> plutôt que de participer à la désescalade. Et ainsi à l'inverse, les
> camps adverses grossissent et la violence augmente. On appelle ça
> généralement "prendre parti".
> La compassion/empathie peut même être à la cause d'un conflit : il
> arrive qu'une personne sous prétexte de défendre un individu qui ne lui
> a rien demandé mais qui souffrirait de la situation, agresse une ou
> plusieurs autres personnes. Cas récent : des accusations (donc
> agressions) de transphobie pour défendre une personne (Manning) qui
> n'est absolument pas au courant de ce qui se dit au PP. Cela va
> d'ailleurs au delà de la compassion/empathie puisqu'il n'y a pas de
> souffrance effective (on ne peut pas souffrir d'une agression que l'on
> ignore), il n'y en aura que si la potentielle victime est informée...
> Il y a donc un vrai risque à se mettre trop à la place d'une autre
> personne. De plus notre compassion et notre empathie ne sont aux
> services de la paix que si on les tourne vers l'ensemble des partis en
> présence (et pas seulement un "camp").
>
> Voilà, je tenais à apporter cette petite contribution à l'amélioration
> des discussions au PP. Je pense que ces idées peuvent aider à diminuer
> les tensions et à apaiser les discussions en permettant à chacun.e
> d'être plus résistant.e (et donc plus tolérant.e) face à cette maladie
> contagieuse qu'est la violence.
> Je n'ai volontairement pas mis beaucoup d'exemples car ceux qui me
> venaient étaient un peu trop lié à l'actualité et que je ne souhaite pas
> relancer de polémique, mais si vous trouvez que ça manque, je peux en
> ajouter pour expliciter.
> J'accepterai toute critique ;-)
>
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> Cortex
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