[PP-discussions] La politique ne doit pas être un vrai métier

Antoine Bevort antoine.bevort at gmail.com
Jeu 25 Avr 11:54:32 CEST 2013


Bonjour,

Je suis un partisan résolu du tirage au sort. comme cela suscite régulièrement des oppositions , j'ai tente de résumer mon argumentation que je vous livre ici. Et je pense profondément que la démocratie n'est pas l'affaire de professionnels, qu'ils soient technocrates, bureaucrates ou avant garde. Donc oui, la politique ne doit pas être un métier. 


Dans les sociétés contemporaines, c’est le suffrage universel qui atteste de façon emblématique du caractère démocratique d’un régime politique et l’élection des représentants qui constitue le moment privilégié de l’expression de la souveraineté populaire. La crise de la représentation n’a que peu entamé cette évidence. Elle suscite de multiples interrogations, qui remettent toutefois rarement en cause l’élection comme pierre angulaire de la pratiquedémocratique.
 
En réalité, comme Bernard Manin l’a démontré, jusqu’à l’adoption, au XVIIIè siècle, des premières formes de démocraties représentatives, peu d’auteurs auraient identifié le principe du gouvernement représentatif et le régime démocratique. C’est le tirage au sort qui était associé à la procédure démocratique. L’élection est un mode de sélection des gouvernants, et non pas une modalité de gouvernement par le peuple, sens premier de démocratie. Selon de nombreux penseurs politiques, « il ne faisait aucun doute qu’à la différence du sort, l’élection  sélectionnait des élites préexistantes » (Manin) ce qui n’avait pas échappé à Montesquieu pour lequel « le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie ; le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie ».
 
Plus de deux siècles de démocratie représentative ont refoulé ce jugement et conforté un point de vue très réducteur de la démocratie. Face à la crise de légitimité des institutions électives, dont les élections successives donnent chaque fois la mesure, le recours au tirage au sort mérite d’être considérée comme un moyen de réinventer la démocratie. On considère souvent un peu rapidement que la démocratie directe à l’athénienne est inapplicable dans nos sociétés modernes pour des raisons comme la taille ou la complexité des affaires publiques. Comme l’observe Mogens Hansen, spécialiste de la démocratie athénienne ce point de vue « revient à ignorer que la technique moderne a rendu tout à fait possible un retour à la démocratie directe – que ce soit souhaitable ou non est une autre question ». Ses travaux nous éclairent en détail sur la richesse politique de la pratique athénienne  du tirage au sort.
 
Au IVè siècle avant J.-C., les jurés du Tribunal du peuple et l’immense majorité des magistrats athéniens étaient tirés au sort et, dans la mesure du possible, tous l’étaient pour une année non renouvelable. Le tirage au sort était notamment utilisé pour désigner les membres du Conseil des cinq cents, corps qui préparait et exécutait les décisions prises par l’Assemblée du Peuple. Les archontes, les neuf plus importants personnages de l’appareil d’État, étaientégalement désignés de cette façon.
 
Les athéniens étaient conscients que le tirage au sort soulevait de nombreuses difficultés, ce dont témoignent un certain nombre de modalités qui précisent la procédure de désignation par tirage au sort, les pouvoirs et obligations des candidats sélectionnés.
 
Le tirage au sort s’effectuait parmi des candidats volontaires. On faisait acte de candidature dans son dème ou sa tribu, chaque communauté disposant d’un même nombre de sièges.
Un citoyen pouvait être candidat deux fois, pourvu que ce ne fût pas deux années consécutives. Le Conseil des cinq cents était organisé par tribu, chaque tribu assurant pour un dixième de l’année le comité exécutif du Conseil.  Ils prenaient alors le titre de prytanes. Le président, l’épistatès tôn prytanéôn, était tiré au sort parmi les prytanes en n’était en fonction qu’une nuit et un jour. Il avait rang de chef de l’État.  Le Conseil était de loin le plus important des collèges de magistrats et, pour l’empêcher de devenir trop puissant, les Athéniens mirent d’étroites limites à son autorité.
 
Le tirage au sort n’était pas une simple loterie, des mécanismes de contrôle rigoureux permettaient d’éviter les dérives possibles du hasard. Après le tirage au sort, les candidatsdésignés devaient tous se soumettre à la docimasie. Pour le tribunal du peuple, la docimasie était un procédure qui donnait aux tribunaux la possibilité de corriger certains résultats du tirage au sort  et de contrôler, pour l’annuler si nécessaire, une élection votée par l’Assemblée. Ils n’examinaient pas les compétences d’un candidat, mais vérifiaient le respect des conditions formelles, sa conduite, ses convictions politiques. Un citoyen hostile à la démocratie pouvait ainsi être démis.
 
Les ambassadeurs, les prêtres, les triérarques et même les membres de l’Aréopage, mais aussi les 500 membres du Conseil, les 700 et quelques magistrats, tant élus que tirés au sort étaient soumis à un contrôle financier sévère. Chaque année un collège de dix auditeurs était tiré au sort parmi les membres du Conseil des cinq cents avec pour tâche de vérifier la façon dont les magistrats administraient les fonds publics qui leur étaient confiés. Tout magistrat, quiconque avait exercé une charge publique ou géré des fonds publics avait l’obligation de se soumettre à une reddition des comptes, les euthynai.
 
Quoi qu’on en pense souvent, la procédure du tirage au sort telle qu’elle fut expérimentée dans la démocratie athénienne est pleine d’enseignements pour les temps modernes. Cela ne signifie pas qu’on puisse l’importer telle quelle, ni qu’elle suffise en soi à redonner le pouvoir au peuple. Les démocraties contemporaines ont une conception de la citoyenneté à la fois plus large, et plus restrictive. Le suffrage universel  exclut peu d’habitants majeurs de la cité. Cette différence est d’ailleurs souvent invoquée pour arguer de l’impossibilité du tirage au sort dans nos démocraties modernes.  C’est méconnaître que pour les athéniens le tirage au sort ne repose pas sur l’idée que tout le monde est égal, mais que tout le monde doit avoir des chances égales d’être sélectionné.
 
Le tirage au sort a de nombreux avantages. Il rééquilibre le pouvoir des instances délibératives par rapport aux fonctions exécutives. En effet, le tirage au sort désacralise la fonction de responsable politique. Alors que l’élection a tendance accréditer l’idée que les responsables sont les meilleurs par ce qu’ « élus », le tirage au sort ne fait que désigner les exécutants provisoires d’une assemblée qui reste souveraine. Il redonne ainsi un rôle premier aux délibérations par rapport à un processus électoral qui se cristallise souvent plus sur la compétition de personnes que sur les orientations qui engagent l’avenir de la cité. Il règle également à peu de frais la question de la discrimination, en assurant par exemple la parité du seul fait de la loi des grands nombres.
 
Il ne s’agit pas de proposer l’instauration immédiate et généralisée du tirage au sort, mais de réfléchir à des façons d’introduire une telle pratique dans nos institutions. Pourquoi ne pasconjuguer des procédures électives avec des pratiques de tirage au sort ?  On pourrait par exemple, expérimenter la faisabilité et l’intérêt du tirage au sort dans les élections municipales. On pourrait, après le vote des citoyens pour des listes municipales, tirer au sort le maire. Le tirage au sort pourrait également concerner les organisations représentatives (partis, syndicats, associations).  Après le vote des adhérents sur l’orientation de leur organisation, et l’élection de leurs conseils, les responsables pourraient être tirés au sort. Ces propositions seront souvent perçues comme des provocations, tellement on a peine à imaginer que la vie politique ne puisse pas être centrée sur l’élection des chefs. N’est-ce néanmoins pas une façon de redonner à nos institutions la légitimité et l’efficacité dont elles manquent tant ?
 
La démocratie ne se limite toutefois pas à la désignation des dirigeants. Elle affirme le pouvoir du peuple à décider de son destin. Dans nos démocraties représentatives, la souveraineté populaire a été réduite à l’élection des représentants. C’est pour cela que  le tirage au sort devra être complété par d’autres réformes, comme le développement des procédures référendaires sur le modèle helvétique par exemple.  Le système référendaire suisse donne au peuple un pouvoir décisionnel essentiel.  Une pratique étrangement méconnue et ignorée dans nos débats sur la démocratie…
 
Antoine Bevort
 





Le 25 avr. 2013 à 05:15, Dante <dantoine.upjv at gmail.com> a écrit :

> Petite précision (je répète un peu ce qui a déjà été dit avant), dans la "démocratie" athénienne, il n'était pas vraiment question de tirer au sort, ceux  les postes les plus importants. 
> Globalement en simplifiant, l'initiative des lois et les grandes décisions relevait de l'Ecclesia, assemblée à laquelle pouvait participer n'importe quel citoyen.
> La Boulè composé de citoyens tirés au sort parmi des volontaires (avec des mandats d'un an renouvelable une fois ) sur des listes (y'avait une forme de répartition proportionnelle par tribu)
> L'Héliée est la principal instance judiciaire dont les membres sont tirés au sort chaque année parmi des listes de volontaires.
> Enfin, les fonctions principales de l’exécutif étaient réservées magistrats, élus pour les postes les plus importants, tirés au sort pour les autres. Il subissait un examen de compétences en début de mandat et devait se soumettre à une reddition des comptes à la fin devant l'Ecclesia ou l'Héliée. Le mandat durait la plupart du temps un an (y'a une grande diversité de type de magistrat) et selon les postes peut être renouvelable ou non. L'exemple le plus célèbre est Périclès réélu entre trente et quarante fois à son mandat.
> 
> Là ou je veux en venir, c'est qu'en terme procédural et institutionnel, ce qu'il faut retenir de la démocratie athénienne c'est:
> -les mandats courts 
> -les mandats non ou peu renouvelables pour les tirés au sort
> -la procédure de reddition des comptes en fin de mandat
> -les citoyens décident et fixent les grandes orientations
> -les élus élaborent et exécutent
> -les tirés au sort contrôlent les élus et énoncent possiblement des peines
> 
> Toutefois, ces quelques points, exigent une démocratie vivace, ce qui ne peut reposer que sur l'élévation général du niveau d'éducation, la diminution du temps de travail, ces deux facteurs dépendant eux même de l'augmentation du niveau de vie, et de la déconnexion entre travail et revenu.
> 
> Quelqu'un a dit auparavant sur la ML, "la démocratie, c'est le CHOIX de l'ENSEMBLE des gens". Je dirais plutôt que la démocratie c'est l'égale participation de tous à la vie publique. Ce principe d'égale participation de tous à la vie publique doit être d'une part être acté formellement dans les institutions et les lois et d'autre part être permis par les conditions économiques et sociales des citoyens.
> 
> En d'autres termes on ne peut déconnecter la question de la démocratie des problématiques socio-économiques sous peine de réaliser tout autre chose que la démocratie.
> C'est valable pour nous aujourd'hui, comme c'est valable pour la démocratie athénienne, ses esclaves et ses métèques.
> 
> Piratement,
> Dante
> 
> Le 25 avril 2013 09:50, Olivier Soares <olivier at artfutur.com> a écrit :
>> Qu'est-ce qu'on fait alors pour les postes clé ? C'est-à-dire concrètement, les décisions politiques, elles sont prises comment ? On les tire à pile ou face ? Pile on garde la Hadopi, Face on la dissout... ? Parce que tirer à pile ou face chaque député revient bien à déterminer la majorité au hasard et à faire dépendre les législations du hasard. Chouard nous parle d'Athènes... mais dans l'antiquité le concept même de hasard n'existait pas. Il y avait les Parques qui tissaient le destin des hommes et des dieux. Si on était désigné par le sort, c'est qu'on avait été élu par des forces surnaturelles. Si aujourd'hui on tire les députés au sort dans la population et qu'ils établissent des lois pour le filtrage du Net, la vidéosurveillance et la généralisation des implants rfid, qui parmi nous dira : "Les dieux ont voulu qu'il en soit ainsi" ?
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Le 25 avr. 2013 à 05:15, Dante <dantoine.upjv at gmail.com> a écrit :

> Petite précision (je répète un peu ce qui a déjà été dit avant), dans la "démocratie" athénienne, il n'était pas vraiment question de tirer au sort, ceux  les postes les plus importants. 
> Globalement en simplifiant, l'initiative des lois et les grandes décisions relevait de l'Ecclesia, assemblée à laquelle pouvait participer n'importe quel citoyen.
> La Boulè composé de citoyens tirés au sort parmi des volontaires (avec des mandats d'un an renouvelable une fois ) sur des listes (y'avait une forme de répartition proportionnelle par tribu)
> L'Héliée est la principal instance judiciaire dont les membres sont tirés au sort chaque année parmi des listes de volontaires.
> Enfin, les fonctions principales de l’exécutif étaient réservées magistrats, élus pour les postes les plus importants, tirés au sort pour les autres. Il subissait un examen de compétences en début de mandat et devait se soumettre à une reddition des comptes à la fin devant l'Ecclesia ou l'Héliée. Le mandat durait la plupart du temps un an (y'a une grande diversité de type de magistrat) et selon les postes peut être renouvelable ou non. L'exemple le plus célèbre est Périclès réélu entre trente et quarante fois à son mandat.
> 
> Là ou je veux en venir, c'est qu'en terme procédural et institutionnel, ce qu'il faut retenir de la démocratie athénienne c'est:
> -les mandats courts 
> -les mandats non ou peu renouvelables pour les tirés au sort
> -la procédure de reddition des comptes en fin de mandat
> -les citoyens décident et fixent les grandes orientations
> -les élus élaborent et exécutent
> -les tirés au sort contrôlent les élus et énoncent possiblement des peines
> 
> Toutefois, ces quelques points, exigent une démocratie vivace, ce qui ne peut reposer que sur l'élévation général du niveau d'éducation, la diminution du temps de travail, ces deux facteurs dépendant eux même de l'augmentation du niveau de vie, et de la déconnexion entre travail et revenu.
> 
> Quelqu'un a dit auparavant sur la ML, "la démocratie, c'est le CHOIX de l'ENSEMBLE des gens". Je dirais plutôt que la démocratie c'est l'égale participation de tous à la vie publique. Ce principe d'égale participation de tous à la vie publique doit être d'une part être acté formellement dans les institutions et les lois et d'autre part être permis par les conditions économiques et sociales des citoyens.
> 
> En d'autres termes on ne peut déconnecter la question de la démocratie des problématiques socio-économiques sous peine de réaliser tout autre chose que la démocratie.
> C'est valable pour nous aujourd'hui, comme c'est valable pour la démocratie athénienne, ses esclaves et ses métèques.
> 
> Piratement,
> Dante
> 
> Le 25 avril 2013 09:50, Olivier Soares <olivier at artfutur.com> a écrit :
>> Qu'est-ce qu'on fait alors pour les postes clé ?
>> 
>> C'est-à-dire concrètement, les décisions politiques, elles sont prises
>> comment ? On les tire à pile ou face ?
>> Pile on garde la Hadopi, Face on la dissout... ?
>> 
>> Parce que tirer à pile ou face chaque député revient bien à déterminer
>> la majorité au hasard et à faire dépendre les législations du hasard.
>> 
>> Chouard nous parle d'Athènes... mais dans l'antiquité le concept même de
>> hasard n'existait pas.
>> 
>> Il y avait les Parques qui tissaient le destin des hommes et des dieux.
>> Si on était désigné par le sort, c'est qu'on avait été élu par des
>> forces surnaturelles. Si aujourd'hui on tire les députés au sort dans la
>> population et qu'ils établissent des lois pour le filtrage du Net, la
>> vidéosurveillance et la généralisation des implants rfid, qui parmi nous
>> dira : "Les dieux ont voulu qu'il en soit ainsi" ?
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