[Stratcom] Acteurs Publics : Interview Axelle Lemaire

Cédric LEVIEUX contact at levieuxcedric.com
Mar 21 Juil 07:04:15 CEST 2015


 

Dans un entretien exclusif à _Acteurs publics_, la secrétaire d'État
chargée du numérique assure qu'elle portera bien avant la fin de l'année
un texte de loi "numérique" dont elle détaille quelques mesures. Une
mise au point nécessaire alors que son ministre de tutelle, Emmanuel
Macron, a obtenu de l'Élysée de présenter début 2016 sa propre loi sur
le sujet. 

_"JE VAIS PRÉPARER UNE LOI NUMÉRIQUE",_ A ANNONCÉ FRANÇOIS HOLLANDE LORS
DE LA TRADITIONNELLE INTERVIEW DU 14 JUILLET. CES DERNIERS TEMPS, ON
AVAIT DÉJÀ ENTENDU PARLER DU TEXTE QUE VOUS PRÉPAREZ VOUS-MÊME SUR LE
SUJET, MAIS AUSSI D'UNE LOI "MACRON 2". QU'EN EST-IL EXACTEMENT ? 

Cela mérite effectivement une clarification : il y a bien en réalité
deux projets de textes de lois qui répondent à des objectifs distincts
mais complémentaires. Le premier est le projet de loi numérique annoncé
par le Premier ministre le 18 juin, que je présenterai dans les
prochaines semaines. Quand j'ai été nommée il y quinze mois, il en était
déjà question, mais rien n'avait encore été écrit, j'étais alors devant
une page blanche. J'ai dû développer une vision transversale et
ambitieuse du sujet qui ne collait pas toujours avec l'organisation
interne des administrations. Il a donc fallu faire un vrai travail de
pédagogie et de conviction. À force d'échanges avec mes collègues du
gouvernement, nous avons abouti à un projet qui fait aujourd'hui
consensus, et sera porté par l'ensemble des ministres. Le second projet
de loi, annoncé par le président de la République le 14 juillet, inclura
évidemment des dispositions relatives au numérique mais aura une vision
plus large. 

C'EST LA RAISON POUR LAQUELLE LE PROJET DE LOI NUMÉRIQUE, ANNONCÉ DÈS
2013 PAR L'EXÉCUTIF, A MIS TANT DE TEMPS À ABOUTIR ? 

Oui car au-delà de l'écriture de la loi à proprement parler, il fallait
ce travail de collaboration. Je suis particulièrement attachée à cette
méthode et très fière du travail inédit de concertation mené avec
l'appui du Conseil national du numérique et qui a permis de déboucher
sur le texte que nous avons actuellement. Cela prend forcément du temps
parce qu'il faut que les organisations s'adaptent à une approche qui
n'est pas innée et ne correspond pas à leur fonctionnement intrinsèque.
Mais le simple fait qu'on ait aujourd'hui un texte composé de plusieurs
dizaines d'articles, actuellement en arbitrage à Matignon, et que le
président de la République en parle lors du 14 juillet, montre le chemin
parcouru. 

"MANUEL VALLS A SOULIGNÉ L'IMPORTANCE DE MON TRAVAIL SUR LE NUMÉRIQUE"

LA PRESSE FAIT ÉCHO DE DIFFÉRENDS ENTRE VOUS ET VOTRE MINISTRE DE
TUTELLE, EMMANUEL MACRON, QUI AURAIT DEMANDÉ VOTRE DÉPART LORS DU
DERNIER REMANIEMENT. LE FAIT QUE L'ON ENTENDE PARLER D'UNE LOI "MACRON
2" SUR LE NUMÉRIQUE EST-IL LE SYMBOLE DE CETTE CONCURRENCE ENTRE VOUS ? 

J'accorde peu d'importance aux rumeurs. Je n'imagine pas un seul instant
que cette demande incongrue ait été formulée. En tout cas je suis
toujours là ! Pour le reste je vous renvoie aux propos et aux prévisions
du Premier ministre lors de la présentation de la stratégie numérique le
18 juin dernier. Il a souligné l'importance du travail que je mène et du
sujet numérique pour ce gouvernement. Ce qui m'importe, ce qui importe à
Emmanuel Macron, à l'ensemble du Gouvernement et au Premier Ministre,
c'est que le travail avance, et c'est le cas. 

AVEZ-VOUS RÉUSSI À FAIRE CONSENSUS SUR L'INSCRIPTION DANS LA LOI
FRANÇAISE DE LA NEUTRALITÉ DU NET ? 

Un accord vient d'être trouvé au niveau européen sur ce sujet et c'est
une avancée majeure. À mon premier Conseil l'an dernier, le gouvernement
français ne faisait pas partie de ceux qui étaient moteurs dans la
construction du projet de la Commission européenne. Depuis, nous avons
pu avancer pour construire un accord sur deux volets vraiment utiles de
ce texte : les frais d'itinérance mobile, le_ roaming_, et la neutralité
du net. Ce qui m'importe dorénavant, c'est l'effectivité du droit et sa
traduction dans notre cadre législatif. J'insiste sur un aspect : il
faut mettre à jour les prérogatives de l'ARCEP_ [Autorité de régulation
des communications électroniques et des postes, ndlr] _pour être en
mesure de contrôler la mise en application de ces dispositions
européennes. Je considère que le régulateur national n'a pas la capacité
d'investigation suffisante pour s'assurer que la neutralité du net est
respectée. Il faut y remédier. 

"JE SUIS POUR L'UTILISATION DU LOGICIEL LIBRE DANS L'ADMINISTRATION"

LA PRIORITÉ DONNÉE AUX LOGICIELS LIBRES DANS L'ADMINISTRATION, QUI
DEVRAIT FAIRE PARTIE DU TEXTE DE LOI, FAIT ÉGALEMENT BEAUCOUP DE BRUIT
CHEZ LES ÉDITEURS DE LOGICIELS... 

Ici il faut être très clair : on n'impose pas le logiciel libre dans
l'administration mais on le promeut, et on encadre son utilisation.
C'est le sens des recommandations formulées par la Disic _[Direction
interministérielle des systèmes d'information et de communication de
l'État, ndlr] _qui prône un meilleur aménagement entre le libre et les
logiciels propriétaires. Je suis pour l'utilisation du logiciel libre
dans l'administration : cela répond aux attentes des développeurs et des
informaticiens en interne, et c'est potentiellement une source de
contrôle et de meilleure maîtrise des projets informatiques. 

VOUS COMPTEZ ÉGALEMENT RENFORCER LES POUVOIRS DE LA COMMISSION D'ACCÈS
AUX DOCUMENTS ADMINISTRATIFS (CADA) DANS VOTRE PROJET DE LOI. COMMENT
ALLEZ-VOUS VOUS Y PRENDRE ALORS QUE CERTAINS ÉVOQUENT L'ÉVENTUALITÉ
D'UNE FUSION AVEC LA CNIL (COMMISSION NATIONALE DE L'INFORMATIQUE ET DES
LIBERTÉS) ? 

Ce qui est certain c'est qu'il y a besoin de formaliser la capacité de
coopération entre ces deux instances. J'aimerais par ailleurs qu'on
clarifie les compétences au sein de l'administration pour garantir la
circulation des données au sein de l'État et dans la société française. 

"LES INSTITUTIONS SONT ENCORE INSUFFISAMMENT ORGANISÉES AUTOUR DE LA
DONNÉE"

N'EST-CE PAS DÉJÀ LA MISSION DE L'ADMINISTRATEUR GÉNÉRAL DES DONNÉES,
HENRI VERDIER ? 

La fonction est là mais pas la mission. Inscrire dans la loi les
principes de la circulation des données serait une manière de parachever
la création d'un administrateur général des données. Aujourd'hui c'est
une évidence qu'il faut que les institutions soient organisées autour de
cette notion immatérielle de la donnée, et elles le sont encore
insuffisamment. 

VOUS AVEZ FAIT APPEL AU CONSEIL D'ÉTAT POUR UNE MISSION SUR LA NOTION DE
"DONNÉES D'INTÉRÊT GÉNÉRAL" QUE VOUS VOULEZ INSCRIRE DANS LA LOI. QUELS
ENJEUX SOULÈVE CE NOUVEAU CONCEPT ? 

Il s'agit d'une mission que nous avons demandée avec Emmanuel Macron au
Conseil d'État et aux inspections de Bercy. L'objectif est de permettre
l'ouverture des données des entreprises publiques et des sociétés
privées qui ont un lien avec une mission de service public, par
concession ou par délégation notamment. Dans certains secteurs,
l'ouverture de ces données représente un potentiel de développement
d'activités très important. On peut penser au prix des prestations de
santé pratiquées par les cliniques, aux tarifs autoroutiers, aux données
sur le logement social détenues par les bailleurs sociaux, ou encore aux
données de transports. Le but de la mission est de préciser les
activités dans lesquelles cette ouverture serait nécessaire, de mesurer
son impact économique et de réfléchir à un mécanisme d'ouverture de ces
données d'intérêt général : qui s'en chargera ? Selon quels critères ?
Et quelles sanctions mettre en place en cas de non-ouverture ? Nous
sommes sur ce point très observés par nos homologues à l'étranger, que
ce concept inédit de données d'intérêt général intéresse beaucoup. 

QUEL REGARD PORTEZ-VOUS SUR LA RÉORGANISATION EN COURS DU SECRÉTARIAT
GÉNÉRAL POUR LA MODERNISATION DE L'ACTION PUBLIQUE (SGMAP), QUI PRÉVOIT
NOTAMMENT LA FUSION DE LA DISIC, D'ETALAB, ET DU SERVICE INNOVATION DU
SGMAP AU SEIN D'UNE MÊME DIRECTION ? 

J'ai soutenu cette nouvelle organisation portée par la secrétaire d'État
à la Réforme de l'État, Clotilde Valter, parce qu'elle va dans le sens
de plus de numérique : pour le chantier de la réforme de l'État, pour
accompagner la transformation numérique de l'administration, pour qu'il
y ait plus de numérique dans toutes les politiques publiques. On voit
bien que ces sujets infusent de plus en plus dans l'organisation du
secteur public. 

"IL Y A FORCÉMENT UN PEU DE FRUSTRATION SUR LE TEMPS NÉCESSAIRE À METTRE
EN PLACE DES RÉFORMES"

LA MACHINE ADMINISTRATIVE N'EST-ELLE PAS UN FACTEUR DE BLOCAGE DE CES
CHANGEMENTS STRUCTURELS ? 

Qu'il y ait une certaine inertie de la puissance administrative face au
changement, ça ne fait aucun doute, sur le numérique comme sur tout
autre sujet porteur de transformations. Mais je n'ai pas ressenti de «
blocage » particulier. Il y a forcément un peu de frustration sur le
temps nécessaire à mettre en place des réformes mais en quinze mois, je
considère avoir joué mon rôle sur beaucoup de sujets en lien avec mes
collègues du gouvernement. À titre d'exemple, sur l'ambitieux plan
numérique pour l'école porté par Najat Vallaud-Belkacem, j'ai partagé
mon expérience d'ancienne députée des Français d'Europe du Nord et j'ai
contribué à mettre l'accent sur les usages, les ressources pédagogiques,
la formation des professeurs et enfin l'autonomie laissée aux
collectivités et aux écoles. 

AVEZ-VOUS VRAIMENT LES MOYENS DE DIFFUSER UNE POLITIQUE TRANSVERSALE DU
NUMÉRIQUE ALORS QUE VOTRE SECRÉTARIAT D'ÉTAT EST RATTACHÉ À BERCY ? 

J'ai demandé une chose à mon arrivée au secrétariat d'État : que
l'intitulé de mon poste passe de « l'économie numérique » au « numérique
» tout court. Je l'ai fait en pleine conscience, justement parce que je
voulais porter cette vision globale du sujet. Je savais alors que
j'élevais la barre et que le défi allait être plus grand. Que l'on parle
de l'éducation nationale, de l'emploi - avec l'ouverture de l'Emploi
Store lancé très récemment par François Rebsamen - ou de la création de
la grande école du numérique, j'estime que le Gouvernement est
collectivement très mobilisé sur ce sujet du numérique. 

VOUS AVEZ CRÉÉ EN DÉBUT D'ANNÉE L'AGENCE DU NUMÉRIQUE, QUI REGROUPE LA
MISSION THD, LA FRENCH TECH ET L'ANCIENNE DÉLÉGATION AUX USAGES DE
L'INTERNET (DUI). SON DIRECTEUR, ANTOINE DARODES, VIENT D'ÊTRE NOMMÉ.
COMMENT CE RECRUTEMENT S'EST-IL DÉROULÉ ? 

La direction générale des entreprises (DGE) a reçu un afflux important
de candidatures pour ce poste. Cet engouement est lié à la méthode
employée et notamment au fait que ce poste était ouvert à tous. Après la
mise en place d'un jury et trois « rounds » de sélection, le profil
d'Antoine Darodes répondait à tous nos critères. Nous voulions une
personne qui maîtrise l'ensemble des champs couverts par l'agence : le
domaine technique avec la mission Très Haut Débit, l'écosystème de la
French Tech et la vision usages et services portée par l'ancienne DUI.
Il fallait aussi savoir parler aux collectivités, avoir suffisamment
d'indépendance pour être capable de faire bouger la machine et de
s'adapter à ses contraintes. 

 « L'AGENCE DU NUMÉRIQUE NE DOIT PAS CÉDER À UNE FORME DE LÉTHARGIE »

QUELLES SERONT LES PRIORITÉS DU TRAVAIL CONFIÉ À ANTOINE DARODES ? 

Je lui ai demandé de présenter sa stratégie en septembre et de
fonctionner sur un mode start-up. L'agence est un service à compétence
nationale qui doit marcher par projet et par mission et ne pas céder à
une forme de léthargie. Il m'a aussi paru primordial de revitaliser la
mission services et usages, en commençant d'abord par recenser et
cartographier toutes les initiatives numériques des territoires. Nous
lancerons d'ailleurs prochainement le réseau national de la médiation
numérique qui sera assorti d'une plate-forme dédiée à la mise en réseau
de ces innovations. L'important est que cette agence soit clairement
tournée vers les collectivités locales et les territoires. Cela pose la
question du rôle de l'État à l'heure numérique comme vecteur de
diffusion des meilleures pratiques. 

LE NUMÉRIQUE EST AUSSI UN PUISSANT TRANSFORMATEUR DE L'EMPLOI DANS LA
FONCTION PUBLIQUE, SECTEUR DANS LEQUEL CETTE RÉVOLUTION N'EST PAS
TOUJOURS VUE D'UN TRÈS BON ŒIL. COMMENT RÉUSSIR CE CHANGEMENT ? 

Ce sujet est porté avec détermination par la ministre de la Fonction
publique, Marylise Lebranchu. Je ne crois pas que le numérique soit
encore vu comme « un grand méchant loup » dans la fonction publique. Ce
qui est par ailleurs vital, c'est de valoriser les initiatives prises
par les agents et ce, quel que soit leur niveau hiérarchique.
Personnellement, je pousse à élargir le concept de start-up d'État. Ces
équipes formées autour d'un projet alliant fonctionnaires et
développeurs en lien direct avec les usagers finaux ont déjà abouti à
des outils concrets : le site Mes-aides.gouv.fr [1], l'application
Marchés publics simplifiés ou encore l'open data des taxis, qui est une
des réponses à la problématique Uber. Je suis justement en train de
préparer, en collaboration avec Clotilde Valter, un document que nous
remettrons au Premier ministre pour systématiser ce genre de démarches. 

Links:
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[1] http://Mes-aides.gouv.fr
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