[PP-discussions] Nous nous tenons passivement muets
Frédéric Lecointre
frederic.lecointre at burnweb.net
Lun 16 Nov 18:12:15 CET 2015
L'intervention en irak en 2003 en dehors de toutes légalité aura des
répercussions pour des dizaines d'années.
*Le Sénateur Robert Byrd des USA
Discours tenu devant le Sénat le mercredi 12 Février 2003*
Envisager la guerre, c'est penser à la plus horrible des expériences
humaines. En ce jour de février, alors que cette nation se tient à deux
doigts de la bataille, chaque Américain se doit d'envisager les horreurs
de la guerre.
Cependant, cette Chambre est, dans sa plus grande majorité, silencieuse
– sinistrement et terriblement silencieuse. Il n'y a aucune discussion,
aucun débat, aucune tentative de présenter à la nation le pour et le
contre de cette guerre. Il n'y a rien.
Nous nous tenons passivement muets au Sénat des États-Unis, paralysés
par notre propre incertitude, apparemment assommés par le tumulte des
événements. Il n'y a que dans les éditoriaux de nos journaux qu'on
trouve une réelle discussion sur la sagesse ou l'imprudence de s'engager
dans cette guerre.
Et ce n'est pas un petit incendie qui se profile. Il ne s'agit pas d'une
simple tentative de neutraliser un ennemi. Non. La bataille qui vient,
si elle a lieu, représente un tournant dans la politique étrangère des
États-Unis, et probablement un tournant dans l'histoire récente du monde.
Cette nation est sur le point de s'embarquer dans l'expérimentation
d'une doctrine révolutionnaire appliquée d'une manière extraordinaire à
une époque bien mal choisie. La doctrine de la préemption – l'idée que
les Etats-Unis ou n'importe quelle autre nation puisse légitimement
attaquer une nation qui ne constitue pas une menace imminente, mais qui
pourrait en devenir une dans le futur — est vraiment une nouvelle
perversion de la conception traditionelle de la légitime défense. Elle
semble être en violation du droit international et de la charte de
l'ONU. Et elle est expérimentée à une époque où le terrorisme est
mondialement répandu, faisant craindre à de nombreux pays de se trouver
prochainement sur notre liste noire, ou celle d'une autre nation. Des
personnages de la haute administration ont récement refusé d'exclure a
priori les armes nucléaires des plans d'attaque de l'Irak. Qu'est ce qui
pourrait être plus déstabilisant et imprudent que ce genre
d'incertitudes, en particulier dans un monde où la mondialisation a lié
si intimement les intérêts vitaux économiques et de sécurité de
nombreuses nations? D'énormes fissures apparaissent dans nos aliances
scellées de longue date, et les intentions américaines font soudain
l'objet de spéculations préjudiciables venant de toutes parts.
L'Anti-Américanisme qui naît de la défiance, de la désinformation, de la
suspicion et de la rhétorique alarmiste des dirigeants des États-Unis
est en train de briser la solide aliance contre le terrorisme global qui
existait après le 11 septembre.
Ici à la maison, les gens sont mis en garde contre d'imminentes attaques
terroristes, mais avec peu d'indications sur quand et où de telles
attaques pourraient se produire. Pères et fils sont appelés sous les
drapeaux, sans savoir la durée de leur séjour ni les horreurs auxquelles
ils pourraient être confrontés. Des communautées se retrouvent avec des
forces de police et de pompiers insuffisantes. D'autres services
essentiels sont également en pénurie de personnel. Le moral de la nation
est sinistre. L'économie vacille. Le prix des carburants monte et risque
de bientôt bondir encore plus haut.
Ce gouvernement, maintenant au povoir depuis un peu plus de deux ans,
doit être jugée sur son bilan. Je pense que ce bilan est lamentable.
En deux petites années, ce gouvernement a dilapidé l'énorme excédent
prévu de quelques 5600 milliards de dollars pour la prochaine décénie,
et nous a entraîné dans une situation déficitaire pour aussi loin qu'on
puisse prévoir.
Ce gouvernement a adopté des règlements qui ont ralenti la croissance
économique. Ce gouvernement a délaissé des problèmes urgents, tels que
la crise du système de soins aux personnes agées. Ce gouvernement a
tardé à financer correctement la sécurité de la patrie. Ce gouvernement
a traîné le pieds pour renforcer la protection de nos frontières longues
et poreuses.
En ce qui concerne la politique étrangère, ce gouvernement n'a pas
réussi à trouver Ousama Ben Laden. En fait, nous l'avons entendu pas
plus tard qu'hier harranguer ses troupes et les appeler à tuer. Ce
gouvernement a cassé les aliances traditionelles, risquant de paralyser,
pour toujours, des organisations internationales de maintien de l'ordre
telles que les Nations Unies et l'OTAN. Ce gouvernement a remis en
question la perception traditionelle et internationale des États-Unis
comme un gardien de la paix, bien intentionné. Ce gouvernement a changé
l'art délicat de la diplomatie en menaces, insultes et diffamations, qui
sont le lamentable reflet du peu d'intellignece et de sensibilité de nos
dirigeants. Cela aura de lourdes conséquences pour les années à venir.
Traiter des chefs d'états de pygmées, qualifier des pays entiers de
maléfiques, dénigrer et mépriser l'opinion de puissants alliés
européens, ce type d'insensibilités grossières ne peuvent être bonnes
pour notre nation. Nous avons peut-être une puissance militaire massive,
mais nous ne pouvons pas mener seuls une guerre globale contre le
terrorisme. Nous avons tout autant besoin de la coopération et de
l'amitié de nos alliés de longue date, que de celles des nouveaux amis
que notre richesse a attiré. Notre impressionante machine militaire nous
sera de peu d'utilité si nous subissons sur notre sol une nouvelle
attaque dévastatrice qui nuise gravement à notre économie. Nos effectifs
militaires s'amenuisent et nous aurons besoin de l'appui renouvellé de
ces nations qui peuvent fournir des forces armées, au lieu de se
contenter de signer des lettres d'encouragement.
Jusqu'à présent, la guerre en Afghanistan nous a coûté 37 milliards de
dollars, et pourtant il y a des signes que le terrorsime serait déjà en
train de ré-investir cette région. Nous n'avons pas trouvé Ben Laden, et
à moins que nous établissions durablement la paix en Afghanistan, les
repaires de terroristes refleuriront dans ce pays lointain et dévasté.
Le Pakistan également est menacé par des forces de déstabilisation. Ce
gouvernement n'a pas terminé la première guerre contre le terrorisme que
déjà il est impatient de s'embarquer dans un autre conflit, avec des
risques bien plus grands qu'en Afghanistan. Avons-nous la mémoire si
courte? N'avons-nous pas appris qu'après avoir gagné la guerre, on doit
toujours stabiliser la paix?
Et pourtant on n'entend pas grand chose au sujet de l'après-guerre en
Irak. En l'absence de plans, les spéculations à l'étranger vont bon
train. Nous allons nous emparer des champs de pétrole irakiens, nous
allons devenir une puissance occupante qui contrôlera le prix et les
approvisionements de pétrole de cette nation pour une durée
indéterminée. À qui proposons-nous de remettre les rênes du pouvoir
après Saddam Hussein?
Notre guerre va-t-elle enflammer le monde musulman et engendrer des
attaques dévastatrices sur Israël? Israël répondra-t-il avec son arsenal
nucléaire? Les gouvernements Jordaniens et Saoudiens seront-ils
renversés par des radicaux, soutenus par l'Iran, qui est beaucoup plus
lié au terrorisme que l'Irak?
Une interruption de l'approvisionnement en pétrole conduira-t-elle à une
récession mondiale? Notre langage incensé et belliqueux et notre
insensible mépris des intérets et opinions d'autres nations ont-ils
relancé la course à l'entrée dans le club nucléaire, et rendu la
prolifération encore plus lucrative pour des pays qui ont besoin
ressources financières?
En seulement deux petites années, ce gouvernement insouciant et arrogant
a initié une politique qui pourrait engendrer des conséquences
désastreuses pour longues des années.
On peut comprendre la colère et le choc de n'importe quel Président
après les attaques sauvages du 11 septembre. On peut imaginer la
frustration de n'avoir qu'une ombre à chasser et un ennemi amorphe et
insaisissable, à qui il est presque impossible d'infliger un châtiment.
Mais transformer sa frustration et sa colère en ce genre de débâcle de
notre politique étrangère, extrèmement déstabilisante et dangereuse et
dont le monde entier est témoin, c'est inexcusable de la part d'un
gouvernement ayant l'incroyable puissance et responsabilité de diriger
la plus grande superpuissance de la planète. Franchement, de nombreuses
déclarations faites par ce gouvernement sont indignes. Il n'y a pas
d'autre mot.
Et pourtant cette chambre reste obstinément silencieuse. Nous sommes
peut-être à la veille d'infliger la mort et la destruction à la
population de l'Irak – une population, ajouterais-je, dont la moitié à
moins de 15 ans – et cette Chambre est muette. Peut-être plus que
quelques jours avant que nous envoyions des milliers de nos citoyens
affronter les horreurs inimaginables des armes chimiques et biologiques
– et cette Chambre reste muette. Nous sommes peut-être à la veille d'une
vicieuse attaque terroriste en représailles de notre attaque de l'Irak,
et tout va comme d'habitude au Sénat des États-Unis.
Nous traversons l'Histoire comme de vrais somnambules(1). Au plus
profond de mon coeur je prie pour que cette grande nation et ses
citoyens, bons et confiants, n'aient pas à subir le plus rude des réveils.
S'engager dans une guerre, c'est toujours jouer un joker. Et la guerre
doit toujours être la dernière solution, pas le premier choix. Je dois
réellement mettre en question le discernement de tout Président qui peut
dire qu'une attaque militaire, massive, non provoquée, d'une nation
composée à plus de 50% par des enfants est « dans la plus haute
tradition morale de notre pays ». Cette guerre n'est pas nécessaire à
l'heure actuelle. Les pressions semblent donner de bons résultats en
Irak. Notre erreur a été de nous acculer nous-mêmes dans un coin. Notre
défi est de trouver un moyen de nous sortir élégament de cette boite que
nous avons nous même construite. Peut-être y-a-t-il un moyen, si nous
nous donnons plus de temps.
--
Frédéric Lecointre
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