[PP-discussions]   Comment la gauche et la contre-culture sont tombées dans le piège de l'utopie numérique

Garreau, Alexandre galex-713+pirate at galex-713.eu
Dim 28 Déc 13:01:06 CET 2014


Je dirais qu’il faut toujours se méfier de ceux qui se proclament les
pourfendeurs de « l’idéologie dominante » (alors même qu’il n’y en a pas
une mais *plusieurs*) et assurent être les seuls vrais subversifs quand
les autres ne le seraient que pour de faux. Ça me rappelle un peu trop
la fachosphère… Mais appliquons donc le principe de charité, et
admettons…

Alors ok sur le coté critique du libéralisme/capitalisme, mais là plutôt
que de critiquer le manque d’approfondissement sociopolitique, il en
vient à s’opposer au grand vrai gros avantage constructif du mouvement
hippie et hacker : le gros coté libertaire.

Alors si je serais souvent le premier à m’opposer une philosophie
politique inégalitaire comme la capitaliste, lorsqu’on s’attaque à un
ensemble politique qui contient aussi bien les libéraux que les
libertaires, je vois plus ça comme une opposition au réalisme (aka les
idées dérivent de la réalité, y a pas de valeurs transcendantes et donc
du gros anti-essentialisme), et qui du coup se rapproche plus d’un
certain autoritarisme (genre, quand on parle de devoir lutter dans des
« vrais partis de gauche », on pense souvent aux autoritaires, pas les
libertaires, ou genre le PP, qui reste un peu à part).

Le soucis des hippies a été le même que celui des premiers anarchistes
d’y a deux siècles : croire que pour construire une société meilleure
fallait faire comprendre que la nature humaine était bonne à celleux qui
soutenaient le contraire.

Alors même qu’avec cet axiome, tout spécialement dans le cadre de notre
société ultracapitaliste mondialisée d’aujourd’hui, on est très vite
déçu·e. Les humains sont bien capables des pires atrocités. Et la
réponse n’est pas qu’en fait à la base en vrai la nature humaine est
bonne, la réponse est que la nature humaine n’existe pas, et que presque
tout est socialement construit, acquis, et presque rien inné.

Il loue Mai 68 pour son coté politique alors même que c’est ce résidu de
confiance en la démocratie (mais représentative) et le socialisme (mais
autoritaire), qui l’a perdu. Parce que bien que ça l’était nettement
plus qu’autrefois, c’était pas assez libertaire.

Il critique cette vision attractive de ce nouveau capitalisme, ce
capitalisme de « réseau », ce capitalisme de données, ce capitalisme
numérique, bref, ce capitalisme 2.0 qui tente de /fix/ (en apparence) sa
contradiction matérielle (dont l’aboutissement est la crise écologique),
sociale (dont l’aboutissement est le cannibalisme social individualiste)
et géopolitique (dont l’aboutissement est la bélligérence
pseudo-interculturelle) par le numérique.

Mais il simplifie alors beaucoup trop le numérique, c’est très
manichéen, et presque caricatural : il le voit comme une pure invention
du capitalisme, quand, s’il fut bien en grosse partie — dans l’Histoire
avec laquelle nous l’avons eu — permi par le capitalisme, il fut surtout
récupéré par celui-ci… quand ses principes de base étaient purement
anticapitalistes et très libertaires (décentralisation, horizontalité
internationalisme, partage, égalitarisme, etc.). On en retrouve l’idée
du « capitalisme produisant son propre dépassement », en cherchant à
/fix/ ses contradictions. Et j’en reviens à l’histoire qu’on a tou·te·s
entendu·e de Benjamin Bayart : un réseau commandé par le militarisme du
gouvernement étatsunien pour achever leur autorité, mais qui fut conçu
par des hippies fondamentalement libertaires qui lui ont vendu… un
machin purement anti-autoritaire !

Et si aujourd’hui la sécurité en termes de vie privée du réseau est
découverte compromise, il joue toujours à merveille son rôle initial :
diffuser de l’information, toute l’information, quoi qu’il arrive,
toujours, partout (ou presque). Wikileaks et Snowden en sont la preuve.

Vers la fin (dernière grosse citation) ce gros amalgame devient
d’ailleurs assez flagrant : il unifie « technologie » et « business »,
et pointe tout ça comme une récupération de l’« éducation personnelle »
(notons que le mot « collecti·ve·f » est tout à fait absent de cette
citation, pas d’opposition entre individuel et collectif, le mieux est
« collaboratif », qui est encore évoqué comme récupéré par
l’« entreprise »).

Il reprend ce fantasme de « technologie seule », alors que la
technologie elle-même est en soi, *par définition* un outil, un moyen,
pas une fin. Pas même celle du capitalisme, la fin de celui-ci étant le
profit et la croissance (dont la technologie n’est qu’un *moyen*). Il
reprend le fantasme fasciste selon lequel le fantasme et la fin des
libéraux et capitalistes en tout genre est de tout technologiser, de
faire disparaître la nature et de s’opposer à « l’ordre naturel des
choses » (évidemment très étatique, religieux, patriarcal,
ultranationaliste, inégalitariste, bref, autoritaire en imposant
arbitrairement le respect de valeurs prétendues transcendantes ou
« naturelles », ou, pour les pudiques, dans l’ordre : « antilibéral,
spiritualiste, familial, antimondialiste, raisonnable, bref, ferme et
sain en faisant preuve de bon sens à travers le respect de notre mère
nature » :>, je déconne pas, le Fascisme — comme philosophie — revient,
il a juste changé de vocabulaire). La technologie n’agit donc jamais
seule, et pas par elle-même. C’est nous qui agissons à travers la
technologie. Comme il en a toujours été le cas chez l’humain·e. La
preuve : votre absence de longues griffes et de gros crocs, vos poils
courts, vos muscles sous-développés, votre position debout, vos pieds
impotents, vos petits bras… c’est pas comme si la « technologie », en
son vrai sens original, le sens large, avait rendu tout ça obsolète, et
avait — en extériorisant nos fonctionnalités, les passant de naturelles
à culturelles — fait de l’être humain l’espèce la plus versatile et
résiliente de cette planète, et même d’ailleurs. Et c’est une vision
humaniste, pas anthropocentriste (la nuance est la même qu’entre égoïste
et égocentrique, entre basé et « /aimed/ », entre cause et raison, et
elle est importante, primordiale, sinon on tombe dans le dualisme dans
sa pire conception, dans un sens « de droite » pourrait-on dire).

Pour finir, « ça revient à transformer les ordinateurs en outils de
psychothérapie. », et là c’est un combo en termes d’« /assumptions/ »*
(encore que LePen a fait pire avec l’invention du terme « hybride
francoterroriste » xD).

Déjà en parlant de psychothérapie on en revient à la simplification
manichéenne qui confond la technophilie avec le capitalisme, qui lui
tend à tout psychologiser, en individualisant des problèmes sociaux, en
niant une nouvelle fois la société. On mélange une méconception**
initiale du mouvement hippie (l’absence de différenciation entre
psychologie physiologique d’un empirisme universaliste et de
construction sociales systémiques oppressives, encore une fois un âfre
du dualisme résiduel en celui-ci), et une arme, une façon de voire les
choses du capitalisme.

Ensuite on se met à faire comme si les ordinateurs — matériels —
n’agissaient pas — au moins en tant qu’intermédiaires — sur l’esprit,
alors prétendu immatériel donc. Là encore c’est du dualisme. L’esprit
est aussi matériel qu’un ordinateur. Chacun des deux a donc autant de
potentiel à rejoindre l’autre. Un esprit n’est rien d’autre qu’un
ordinateur biochimique conçu en plusieurs centaines de millions d’années
par l’évolution darwinienne. On a une nouvelle négation du
matérialisme. Youpi.

Enfin on a une grosse, grosse négation des idées fondamentales de base
qui devraient être aujourd’hui assimilés par tous les mouvements
libertaires (mais qui peinent encore à rentrer par certains endroits,
certains endroits demeurant bien réacs donc x)), et qui nous ont été
apporté par le féminisme matérialiste (pas en tant qu’opposé au
féminisme queer hein, celles-là je les appelles les féministes
marxistes, c’pas pareil, moi je parle du féminisme matérialiste comme
opposé aux féministes dualistes « de droite » (donc réunissant les
marxistes et les queers)). Je parle de celui du « on ne naît pas, on
devient », celui des constructions sociales, de l’acquis, du
culturel. Où l’on nie que les constructions sociales autoritaires
individuelles sont à l’origine du système autoritaire (anti)social.

Et là je rappellerais quelques axiomes de base de ces idées, comme les
posait assez exceptionnellement bien Benjamin Bayart (pourtant pas *si*
libertaire en apparence) : (0) une société est composée d’individus, et
représente la somme des interactions entre celleux-ci, (1) tout est
socialement construit/acquis (l’histoire du roi, de la langue naturelle
et des bébés), donc (2) on se construit socialement par la
socialisation, la communication, le langage, or (3) Internet change
essentiellement, fondamentalement, *radicalement* la façon dont nous
communiquons/socialisons (en termes de décentralisation,
d’horizontalité, de partage, de frontières, d’espace-temps, etc.), donc
(4) Internet change notre essence la plus profonde, et donc modifie
*fondamentalement* la société.

Alors pour ces trois raisons, raconter que c’est un fantasme, une lubie,
une absurdité, l’idée que « ça revient à transformer les ordinateurs en
outils de psychothérapie », c’est juste ridicule.

PS :
* désolé pour l’anglais, je sais pas comment rendre ça aussi bien
  conceptuellement que grammaticalement en français. J’aurais bien aussi
  des mots pour ça en espéranto, espagnol ou italien (ce qui m’est venu
  en premier), mais y a plus de chance qu’on comprenne l’anglais ici.

** C’était ça ou « /misconception/ » :p et non « amalgame » ne fait pas
   l’affaire ^^", faut vraiment faire apparaître le lien avec le concept
   de concept x)
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