[PP-discussions] La commune de 1871 : enjeux de sa commémoration et de son enseignement

Pierre Mounier pierre.mounier at gmail.com
Mer 15 Mai 23:08:19 CEST 2013


Coucou les pirates. Ce texte devrait beaucoup vous plaire.

Amical souvenir,

Piotrr

*La commune de 1871 : enjeux de sa commémoration et de son enseignement*
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Rédacteur : Eric Fournier

Mai 1981 : Pierre Mauroy se rend au Mur des fédérés. Pour la première fois
depuis 1871, un chef de gouvernement en exercice rend hommage à la Commune.
L’événement est pourtant passé inaperçu en son temps, puis  éclipsé des
mémoires  par la fameuse montée au Panthéon, la rose au poing. La Commune
était en marge du consensus républicain alors interprété par les
socialistes au pouvoir. Les septennats de Mitterrand, qui correspondent
globalement à l’étiage de la présence de cette insurrection dans les usages
publics du passé, voient s’accroître encore ce désintérêt. Certes, en 1996,
des commémorations furent organisées dans des arrondissements passés à
gauche lors des élections municipales et en 1997 la victoire de la Gauche
plurielle est l’occasion d’une montée au Mur un peu plus étoffée que les
années précédentes. Mais, en 2007, à la différence de Nicolas Sarkozy,
Ségolène Royal n’évoque pas une seule fois une Commune manifestement
réduite, dans les mémoires socialistes, à un fantôme
erratique[1]<http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn1>.


En ce printemps 2013, la gauche redécouvre spectaculairement la Commune de
1871 et l’initiative vient d’en haut : du gouvernement, des députés
socialistes et des sénateurs communistes. Le 9 mars, à l’occasion de la
journée de la femme, Najat Vallaud-Belkacem (ministre du droit des femmes
et porte-parole du gouvernement) évoque la possible panthéonisation de
Louise Michel, parmi d’autres candidates. Le 18 mars, dans une tribune
publiée par *Libération* titrée « La Commune n’est pas morte », deux
députés socialistes parisiens annoncent le dépôt d’une résolution
mémorielle pour réhabiliter et faire connaître la
Commune[2]<http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn2>.
C’est chose faite le 8 avril. La proposition de résolution N° 907, signée
par plus d’une centaine de députés socialistes soutenus par leur groupe
parlementaire, propose de « rendre justice aux victimes de la répression de
la Commune de Paris de 1871 »[3]<http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn3>.
 Le 25 avril, les 20 sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen
déposent à leur tour une résolution « pour la réhabilitation de la Commune
et des communards » à la haute
assemblée[4]<http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn4>.
Cette deuxième résolution emprunte beaucoup à tribune médiatique de la
première, sans jamais s’y référer, mais prend soin de s’en distinguer. La
situation est donc inédite. Deux initiatives parlementaires relatives aux
usages de l’histoire, proches mais non réductibles l’une à l’autre, entrent
en résonance, sinon en concurrence.

Instruits par les polémiques sur les lois mémorielles, les signataires
prennent bien soin de se conformer aux conclusions de la mission
d’information de l’assemblée nationale de 2008 et, au lieu d’une loi,
proposent une résolution[5]
<http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn5>mémorielle afin de
réhabiliter sans heurts ni anicroches les communards.
Pourtant, cette initiative résolument consensuelle pose plusieurs
problèmes, notamment du fait de sa visée consensuelle.

 Quel que soit l’habillage légal, cette résolution n’échappe pas à
plusieurs questions posées en leur temps par les lois mémorielles, par
chaque loi mémorielle saisie dans sa singularité. Répétons-le, le parlement
a le droit de s’exprimer sur un passé qui n’appartient pas aux
professionnels de l’histoire, mais s’il s’avise d’écrire l’histoire, alors
il s’expose au regard critique et public des historiens. D’autant plus que
les signataires de ces deux résolutions s’appuient sur « les travaux
historiques ayant établi les faits » pour légitimer leur démarche, qui,
malgré toutes ces précautions, relève soit d’une méconnaissance des dits
travaux historiques, soit d’une instrumentalisation anachronique et
malhabile du passé, par sélection et par omission.

*Des victimes banalement républicaines, ou comment lisser l’histoire. *

Quelle Commune veulent-ils « réhabiliter » et « faire connaître » ? Quels
en sont les contours ? À lire la résolution des députés socialistes, il
s’agit presque exclusivement d’une « Commune victime de la répression
versaillaise ». Par cette dimension compassionnelle affirmée, la résolution
se distingue de la tribune médiatique qui l’annonce et qui ne se limitait
pas à ce discours victimaire. Or, dans la mesure où la résolution comporte
plus de signataires que les seuls députés parisiens initialement évoquée
par la tribune, peut-être faut-il y voir le résultat d’une négociation
interne au groupe socialiste. Réduire les fédérés à des victimes passives
au lieu de les considérer comme des  acteurs politiques est manifestement
plus fédérateur pour les députés socialistes du XXIe siècle, qui n’hésitent
pas à emprunter aux procédés d’écritures du XIXe siècle pour édifier le
lecteur, que ce soit un romantisme noir lorsque sont évoqués la « semaine
sanglante » et ses « abattoirs » ou une tonalité positiviste lorsque sont
minutieusement égrenés les chiffres des condamnations légales prolongeant
les massacres de mai.  Cet exposé historique oublie presque totalement ce
pourquoi se battaient les communards et qui – précisément – les a réprimés.

Cette insistante exposition victimaire suffit peut-être aux politiques mais
pose problème à l’historien. Elle réduit la nécessaire distance critique
avec l’événement en y mêlant excessivement l’émotion ; se rapproche
incidemment des autres lois mémorielles également, en insistant sur le
bilan chiffré d’un crime qu’il faudrait symboliquement réparer par un
« devoir de mémoire » implicite.

Dès qu’il est question de ce qui animait les insurgés de 1871, la
résolution socialiste est des plus elliptiques, évoquant rapidement « les
valeurs républicaines portées par les acteurs de la Commune [...] ces
femmes et ces hommes qui ont combattu pour la liberté ». Ils étaient
républicains et cela suffit. Fermez le ban.

Pour en savoir un peu plus, il faut se reporter à la tribune du 18 mars, un
texte pesant moins dans le débat public que la proposition de résolution
dont il n’est que l’amorce. On y lit que la Commune est un des événements
ayant « participé à l’affirmation des valeurs communes de notre
république », mieux encore « un des fondements de notre république ». Ce
faisant, la Commune est enrôlée au service de la téléologie républicaine,
d’une lisse histoire finaliste. Le procédé n’est pas totalement nouveau. De
1871 aux années 1970, la Commune n’était pas morte car les exilés, puis les
premiers socialistes, les anarchistes, les communistes ensuite et surtout,
la considéraient comme « l’aurore » des révolutions à venir. Pour les
sociaux-démocrates d’ici et maintenant, la grande lueur révolutionnaire se
mue en une matrice républicaine. Mais de quelle république parlent-ils ?

Le ton devient lyrique dès qu’il est question des « projets et des
réalisations qui nous interpellent par leur brûlante modernité » :
« pendant deux mois, la Commune de Paris a porté les valeurs universelles
de liberté, d’égalité et de fraternité, à travers l’émergence du droit du
travail, l’école gratuite et laïque pour tous, l’égalité d’accès à la
justice, la liberté de la presse, la séparation de l’Eglise et de l’Etat,
la promotion de l’art et de la culture. [...] Droit de vote des étrangers
aux élections locales, démocratie dans l’entreprise, [...] égalité entre
les femmes et les hommes, réquisition des logements vacants pour les
mal-logés ». Se dessine donc une Commune annonciatrice d’une république
unanimiste, avec une coloration plutôt sociale avivée par l’introduction de
deux revendications clairement ancrées à gauche aujourd’hui : la
réquisition des logements et le droit de vote des étrangers.

La résolution des sénateurs communistes, qui se distingue avant tout par
son refus de l’insistance victimaire, reprend presque mot à mot ces
arguments et muscle le discours en y rajoutant «  la défense de l’intérêt
général par l’extension des services publics » et, surtout, « une
démocratie où le peuple n’abdique pas sa souveraineté ». Cette résolution
relie également la Commune aux idéaux de la Résistance, perpétuant ainsi un
discours élaboré dès la libération par le PCF. La République qu’annoncerait
la Commune serait donc la République sociale. Voilà ce qui semble une
évidence incontestable. Le rôle de l’historien est pourtant d’interroger
les évidences, et la Commune, dès que l’on parle de la République, permet
d’interroger avec force des « évidences qui ne sont pas toujours si
évidentes »[6] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn6>. Or, la
république sociale de 1945, encore moins ce qu’il en reste aujourd’hui,
n’était pas la « république démocratique et sociale » des communards.

*De la modernité possible d’une insurrection disruptive : un antidote au
consensus mou.*

La commune évoquée par ces interventions publiques est arrachée à la
singularité de sa situation historique propre pour venir renforcer une
république aussi vague qu’immanente, elle-même en apesanteur, extraite de
l’épaisseur des temporalités. En d’autres termes, le regard porté ici est
anachronique et fait écran à ce que fut la Commune – ce que nous apprend
l’histoire critique de l’événement si l’on préfère – oblitérant ainsi ce
qui  forme effectivement la « brûlante modernité » de l’insurrection, qui
ne saurait être celle suggérée par les parlementaires socialistes et
communistes.

La plupart des idéaux, projets et résolutions attribués ici aux communards
n’étaient pas le propre de la Commune mais bien de l’ensemble des
républicains avancés du XIXe siècle, avant et après l’insurrection, parfois
même des républicains modérés qui gouvernent à partir des années 1880. De
surcroît, ces projets n’ont pas été mis en œuvre par les communards, ou
alors fort timidement. Certes la brièveté de la Commune et les contraintes
de la guerre civile expliquent ces inaboutissements.

Mais, plus essentiellement encore, si ces projets n’ont pas été développés
c’est aussi parce que, de l’aube du 18 mars jusqu’aux derniers combats de
la Commune, les insurgés accomplissaient pleinement leur propre horizon
d’attente révolutionnaire. La grande affaire de la République « sociale »
pour laquelle ce sont levés les hommes et les femmes de 1871 était de se
gouverner soi-même. Pour eux la souveraineté ne se délègue pas, elle
s’exerce directement, ou le plus directement possible. En 1871,
s’entremêlent donc avec force deux temporalités indissociables pour les
communards : la lutte pour la souveraineté et l’exercice même de la
souveraineté, l’insurrection et son horizon politique. De toutes les
révolutions du XIXe siècle, la Commune  est celle qui a porté à son point
le plus haut cette organisation de la souveraineté populaire, où les
représentants ne sont que tolérés par ceux qui les ont élus et où les
citoyens entendent participer réellement à l’exercice quotidien du pouvoir.
Voilà ce qu’était le cœur de la république « sociale » des communards. Le
sens qu’ils donnaient à ce mot n’était pas le même qu’aujourd’hui. Il en
est de même pour leurs autres idéaux, aujourd’hui repris par les
parlementaires en une litanie décontextualisée.

La révolution communale de 1871 était un « questionnement libertaire de la
démocratie » selon la belle formule de Jacques
Rougerie[7]<http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn7>,
ce qu’ignorent totalement les députés socialistes, mais que rappellent
certes timidement les sénateurs communistes en évoquant cette « démocratie
où le peuple n’abdique pas sa souveraineté ».  La « brûlante modernité de
la Commune » ne réside donc pas en une vague liste consensuelle de
perspectives républicaines, mais dans une question encore fondamentale en
démocratie : celle de la représentation de la souveraineté populaire et de
la délégation (ou non) du pouvoir. La Commune est à même de poser
aujourd’hui encore cette question qui reste d’actualité, mais ne peut guère
apporter de réponses immédiates, tout simplement parce que ces insurgés
souverains n’avaient pas le même rapport au monde que nous. Parmi une
multitude d’exemples possibles, l’écart le plus frappant réside
incontestablement dans les rapports de genre. Contrairement à ce
qu’affirment la résolution communiste et la tribune socialiste, « l’égalité
entre les femmes et les hommes » restait à construire en 1871. La
communarde Andrée Léo, écœurée, n’évoquait-elle pas une « révolution sans
femmes »[8] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn8> ?

Ainsi, loin de renforcer la république actuelle, la Commune la bouscule
dans ses certitudes représentatives dès que l’on sort des seuls discours,
aussi généreux soient-ils, et que l’on pratique une histoire par en bas,
attentives aux pratiques quotidiennes de fédérés.

Insister sur le martyr des communards ne permet pas plus de réintroduire du
consensus. La résolution socialiste, tout en insistant sur les modalités du
massacre, reste finalement très évasive sur les acteurs de la répression :
« Adolphe Thiers, chef de l’exécutif » commande des « troupes
versaillaises » que relaye l’action des « tribunaux militaires ». Or, comme
en juin 1848, il y avait des républicains dans les deux camps et Versailles
ne saurait être réduite aux seuls monarchistes majoritaires à la chambre.
Autant que la révolution communale, la « semaine sanglante » casse une
lisse histoire républicaine.

*Qui a oublié** ? *

En survolant la question des acteurs de la répression, les députés
socialistes renouent (vraisemblablement sans le savoir) avec la politique
d’oubli des républicains de gouvernement du XIXe siècle. À partir de 1880,
chaque année, au Mur des fédérés, la police surveille scrupuleusement les
textes des couronnes mortuaires qui ne peuvent être empreints que d’une
martyrologie floue. « Aux fusillés », « aux combattants » ou « aux
fédérés » sont autorisés. Mais en 1899 la police arrache des mains des
manifestants « aux frères assassinés par les versaillais ». « Passe d’être
tué à condition qu’il n’y ait pas de tueurs », conclut, cinglante,
Madeleine Rébérioux[9] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn9>.

Cette anecdote rappelle que, dès les débuts de la IIIe République, la
mémoire de la Commune, une mémoire mobilisée dans les luttes des présents
successifs, est l’objet de vives tensions politiques. Ce qui n’est
manifestement pas évident pour les députés socialistes, à lire leur
résolution. La tribune de *Libération* rappelle certes « cet intense moment
de fraternité qu’est la montée annuelle au Mur des fédérés », omettant de
rappeler que la montée au Mur n’a pas été offerte aux porteurs de la
mémoire communarde mais  tracée par eux, en des luttes âpres et longtemps
incertaines, contre les autorités et à l’intérieur mêmes des cortèges, où
il fallait régulièrement expulser
l’extrême-droite[10]<http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn10>.
La résolution socialiste passe encore plus fermement sous silence ces
événements-là lorsqu’elle rappelle que l’amnistie de 1880 s’accompagnait
d’une injonction d’oubli : « la république naissante coulait une chape de
plomb sur des événements dont les acteurs étaient encore vivants. Quels
instruments permettraient de réhabiliter
*enfin*[11]<http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn11>ces victimes ?
». Accordons aux députés qu’ils s’inscrivent dans le
registre exclusif de l’action parlementaire – et c’est très bien ainsi.
Mais ce faisant, ils procèdent à un autre effacement, en oubliant ceux qui
les ont précédés dans la réhabilitation de la Commune, y compris dans
l’ordre de la représentation
nationale[12]<http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn12>.


*La commé**moration de la Commune est-elle soluble dans la ré**publique
« toujours dé**j**à **consensuelle » ? *

Que proposent donc de plus les parlementaires actuels, dans l’omission des
initiatives précédentes, parlementaires ou populaires, mais en ayant à
l’esprit les débats suscités en leur temps par les lois mémorielles ?

Les socialistes prennent effectivement bien soin d’exclure les programmes
scolaires de leurs propositions et se contentent de juger « nécessaire que
soient mieux connues et diffusées les valeurs républicaines de la Commune
de Paris ». Plus précisément, la tribune de *Libération* envisage « la
matérialisation des lieux de mémoire dans l’espace public et les
administrations, ou [...] des gestes forts : [...] le Président de la
République a fait part de son intention de faire entrer des femmes au
Panthéon, nos pensées ne peuvent que se tourner vers cette grande figure de
la Commune que fut l’institutrice Louise Michel ». Ces propositions sont
reprises par la résolution communiste qui, cependant, ne souffle mot de
Louise Michel. L’avenir nous dira si elle rentrera au Panthéon supplantant
ainsi d’autres candidates comme Olympe de Gouges, Madame du Châtelet,
Colette, ou même Georges Sand (qui fut versaillaise, soit dit en passant).
Concentrons-nous sur la possible patrimonialisation de la Commune. Tout
l’enjeu d’une politique patrimoniale est de préserver une trace du passé,
de la transmettre et surtout de la rendre intelligible. Telle est la
question : quelle compréhension de la Commune serait proposée ? Celle d’une
Commune « normale », banalement républicaine et massacré par des spectres
indéfinis ? Ce serait un peu court. Intégrer la Commune au patrimoine comme
une interpellation démocratique utopique, épique et haute en couleurs,
pourquoi pas ; l’assimiler sommairement à la république actuelle, si
différente de celle des communards, à quoi bon ?

Passée au tamis de la Commune, la république dessine des lignes de
ruptures, apparaît  sous ses différentes formes, historiquement situées et
conflictuelles. L’usage mémoriel de la Commune proposée par les
parlementaires dessine inversement en creux l’image simpliste d’une
république « toujours déjà consensuelle », figure d’un récit républicain se
substituant, dans les programmes scolaires, à un roman national désormais
intenable dans sa célébration d’une « France toujours déjà-là
»[13]<http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn13>.


Ces initiatives parlementaires, bien que s’inscrivant explicitement hors du
champ de l’école, ne peuvent donc que renforcer une tendance lourde
présidant à l’écriture actuelle des programmes : celle d’une téléologie
républicaine unanimiste. De surcroît, l’association des Amis de la Commune
de Paris 1871, dont l’efficace *lobbying* est à l’origine de ces résolutions
[14] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn14>, milite tout aussi
activement pour une plus grande place de cette insurrection dans les
programmes scolaires, précisément comme étant un moment fondateur de la
République. Ils ont été reçus par le cabinet du ministre de l’Éducation
nationale le 25 septembre 2012 à ce sujet, en présence de Laurent
Wirth[15]<http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn15>.
Nous avions nous-même regretté ce « deuxième exil des communards » des
programmes du lycée en 2011, en précisant cependant, qu’au-delà de la seule
Commune que le conclut, c’est l’ensemble du premier XIXe siècle qui était *de
facto* effacé des nouveaux programmes du lycée, un siècle dont la
pertinence est d’interroger nos certitudes républicaines et d’offrir un bon
terrain de déconstruction de ces linéarités
factices[16]<http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn16>.
Nous demandions donc également le retour du « crépuscule » des
révolutions » du XIXe siècle mais pour des raisons diamétralement opposées
à celle des Amis de la Commune. Ceci rappelle à quel point la fabrique et
les enjeux de l’histoire scolaire ne sauraient être déconnectés des
questions mémorielles. Il convient donc de rester vigilant face à ces
résolutions se plaçant certes hors du champ scolaire mais qui s’y
inscrivent malgré tout ; une attention critique et constructive, qui
interroge comment articuler mémoire, histoire scientifique et histoire
scolaire, en un horizon d’action.

En définitive, la question n’est pas de s’opposer à la patrimonialisation
de la Commune par la puissance publique mais de se demander quelle
intelligibilité de cet événement complexe, à la croisée des chemins du
XIXesiècle, ce processus entendrait transmettre. Il en est de même de
la
résolution communiste qui, voulant aller plus loin que les socialistes
(preuve supplémentaire de la capacité de la Commune à produire aujourd’hui
encore des tensions politiques, ici sur un mode mineur), propose une
« journée nationale de commémoration » de la Commune de Paris. Là où la
proposition socialiste peut se suffire à elle-même et finalement clore
l’événement par une réhabilitation des victimes à qui elle offrirait un
enterrement parlementaire de première classe, la proposition communiste
peut ouvrir les possibles, sous certaines conditions. Si cette  journée
nationale de commémoration se contente d’évoquer un vague hommage
républicain aux communards, elle risque fort de ne toucher que les
convaincus et de susciter une forme d’indifférence, maintenant la Commune
dans son statut actuel de fantôme et de « sphinx
»[17]<http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftn17>opaque. Mais il est
peut-être une voie qui permettrait de singulariser une
telle commémoration parmi la douzaine d’autres journées mémorielles
existantes, de l’ancrer dans le présent, d’offrir à la Commune une
reconnaissance mémorielle fidèle, de compléter l’intelligibilité historique
de cette insurrection enfin.

Pourquoi ne pas envisager une journée de commémoration associant à la
Commune à la vigilance citoyenne, à la capacité d’exercer sa part de
souveraineté, à l’interpellation populaire ? Une telle initiative romprait
avec le ronronnement des commémorations historiques et serait à coup sûr
inattendue, disruptive, impromptue — à l’image de la Commune de paris en
1871.



[1] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref> Le Trocquer Olivier,
« La Commune », dans De Cock Laurence, Madeline Fanny, Offenstadt Nicolas,
Wahnich Sophie, *Comment Nicolas Sarkozy écrit l’histoire de France*,
Marseille, Agone, 2008.

[2] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref> Carrey-Conte Fanélie et
Bloche Patrick, « La Commune n’est pas morte », *Libération*, 18 mars 2013.
http://www.liberation.fr/politiques/2013/03/18/la-commune-n-est-pas-morte_889392

[3] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref>
http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion0907.asp

[4] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref> Session 2012-2013, texte
n° 549, http://www.commune1871.org/?Rehabilitation-de-la-Commune-Les

[5] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref>Sous les IIIe et
IVèmerépubliques, les résolutions parlementaires permettaient
d’interpeller le
gouvernement. Considérée comme une intrusion du législatif dans l’exécutif,
cette capacité d’action parlementaire est supprimée en 1958, avant d’être
rétablie en 2008. Le site du sénat résume ainsi la fonction d’une
résolution : « chaque assemblée du Parlement a la faculté de voter des
résolutions à caractère général, sur tout sujet. Contrairement aux lois,
les résolutions n’ont pas de valeur contraignante. Elles marquent
l’expression d’un souhait ou d’une préoccupation ». Les résolutions sont
débattues en séance avant le vote.

[6] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref> Tombs Robert,
« Conclusions », dans *Regards sur la Commune de 1871 en France*, colloque
de Narbonne, 24-26 mai 2011.

[7] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref> Rougerie Jacques, « La
Commune et la gauche », dans Becker Jean-Jacques et Candar Gilles
(dir.), *Histoire
des gauches en France. Tome 1 : l’héritage du XIX*e* siècle*, La
Découverte, 2004, p. 109.

[8] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref> Deluermoz Quentin, *Le
Crépuscule des révolutions ? (1848-1871)*,  Histoire de la France
contemporaine, Tome 3, Seuil, 2012, p. 340-341.

[9] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref> Rébérioux Madeleine,
« Le Mur des fédérés » dans* Les Lieux de mémoire*, Pierre Nora dir.,
Gallimard, 1984, vol. 1, p. 629-636.

[10] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref> Si l’on retrace la
généalogie des mémoires de la Commune, les premiers à avoir honoré la
Commune en la réduisant presque exclusivement à des victimes passives sont
les fascistes français de l’entre-deux-guerres. S’il est absolument exclu
de relier les députés socialistes d’aujourd’hui à l’extrême-droite d’hier,
entre autres parce que cette dernière se servait des communards morts pour
flétrir la République, on peut se demander si Nicolas Sarkozy n’a pas fait
le lien, favorisant une insidieuse circulation de ces discours qui
assimilent les fédérés avant tout à des victimes, lorsqu’en 2007 il évoque
les « communards massacrés par Thiers ». Il est troublant de constater que
la résolution socialiste se rapproche de cet usage sarkozyste du passé de
l’insurrection.

[11] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref> Souligné par nous

[12] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref>L’initiative la plus
spectaculaire a lieu le 4 juin 2003 : le gaulliste Christian Poncelet,
président du Sénat, inaugure, en présence des Amis de la Commune, une
plaque commémorative en hommage aux « insurgés fusillés » dans les Jardins
du Luxembourg. Lors de son allocution, Poncelet réhabilite sans détours une
Commune perçue avec acuité dans sa singularité, dans un discours aussi
lyrique qu’historiquement peu contestable. Le texte complet du discours est
disponible sur le site du sénat :
http://www.senat.fr/evenement/archives/D31/cerem1.html

[13] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref> L’expression « France
toujours déjà-là »  est de Suzanne Citron dans *Le Mythe national.
L’histoire de France revisitée*, éditions de l’Atelier, 2008.

[14] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref> Carrey-Conte Fanélie et
Bloche Patrick, « La Commune n’est pas morte », art. cit.,

[15] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref> Compte rendu de
l’audience sur le site des Amis de la Commune :
http://www.commune1871.org/?Rencontre-avec-le-Cabinet-du

[16] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref> Fournier Éric et
Deluermoz Quentin, « Le Deuxième exil des communards », *Aggiornamento
Hist-géo*, 27 juillet 2011, http://aggiornamento.hypotheses.org/463

[17] <http://aggiornamento.hypotheses.org/#_ftnref> En 1871, dans *La
Guerre civile en France*, Marx qualifie la Commune de « sphinx qui met
l’entendement bourgeois à rude épreuve », aphorisme promis à un long
avenir.

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